Quand ils ont juste commencé à bouger,
J’ai tout d’abord spéculé et cru à une farce
Où l’imagination de ces jeunes galopins
S’évertuerait à confondre les incrédules.
Dans la rapide méfiance qui m’a gagné
Il n’y avait alors ni colère ni désolation.
Les voyageurs attentifs semblaient hagards,
Tous aux aguets pour éviter des pièges futés.
Ma vigilance visuelle aussitôt armée
Epiait avec mes tympans mis en éveil.
Mon regard et mon cerveau fort connectés,
Sollicitèrent d’autres sens que je n’avais pas.
Je vis noir, je vis flou. Perdu, je suis floué.
Et pourtant, les messages n’étaient pas floutés,
Juste des gestes rapides, courts et fantaisistes,
Des regards parlants avec des yeux mouvants.
Bref, tout se joue avec mains, regards et corps.
Mais ils semblaient hors de portée et de sens
A toutes nos perspicacités rassasiées et grognons
De gratte-papiers et des langues trop bien déliées !
Voici d’autres communicants mystificateurs,
De joyeux garnements particulièrement agités.
Vifs coquins bien alertes, puits d’interrogations
Qui cognent nos esprits en grands jets puissants !
Tandis que nos heureux faux galopins-blagueurs
En toute tranquillité, causaient économie, télé,
Politique, sport, art et culture, futur et désespoir.
Aucun sujet n’est tabou dans leur verve des signes.
Seule la dame à ma gauche, souffrant d’Alzheimer
Semble par son sourire percer le mystère des propos.
Tous se marraient comme jamais cela ne se fait,
L’attention alentour paraît double ou indécise
Des sourds muets, catalogués « handicapés »,
Qui de leurs doigts et simples gestes langagiers
Refaisaient un monde marginal tellement joyeux
Que nos tronches déjà tendues en étaient agacées.
Quand ils ont commencé à gesticuler
J’ai d’abord cru à une farce savante.
Seuls souverains du secret de leurs laïus
Je salue cette virtuosité, ce savoir-faire,
Ces chantres de prouesses et du discours
Maîtres de cet alphabet qui nous rend frustres.