L’Île des esclaves oubliés et trahis – condamnés à une mort lente

A PRÉSENT QUELQUES INTERROGATIONS !

Félicitations à Thomas Romon, Max Guérout et à tous ceux qui ont fait des recherches pour vulgariser l’histoire terrible de ces esclaves abandonnés à Tromelin et qui y ont passé quinze ans dans un dénuement total. J’ai essayé de faire un recoupement des informations et autres travaux. Il me reste des questions coincés dans l’esprit.

Une fois cette reprise faite de l’événement à partir de ces sites notés et bien d’autres encore, il me reste en travers de la gorge plusieurs interrogations diverses et variées que je voudrais partager avec vous.

J’en garde six cas, à chaque cas une grande question sur ces naufragés, esclaves malgaches.

Cas 1 –

Dans la soirée du 1er octobre 1761, La Providence arrive rapidement à bon port au comptoir de traite de Foulpointe, sur la côte Est de Madagascar, là où les esclaves -fruits de razzias clandestines- avaient été achetés alors que la traite était provisoirement interdite. Le chef d’escadre Froger de l’Éguille recueille le témoignage du capitaine Lafargue, qui raconte l’aventure en détail. Il minimise toutefois le nombre d’esclaves abandonnés sur l’île, puisqu’il déclare qu’ils sont 60 au lieu de 82. Ce n’est pas là le discours de quelqu’un qui aurait perdu la tête ! Et pourtant c’est ce qu’on avait dit tout simplement lorsqu’il resta prostré et traumatisé par la destruction de la Flûte l’Utile.

Pourquoi ne survit-il pas au voyage retour de Madagascar vers l’île Bourbon à bord du bateau Silhouette ? On dit qu’il est mort de maladie – fièvres malgaches – quelques heures avant l’arrivée : est-ce vraiment la cause de sa mort ?

Plus grave, comment expliquer la disparition dans les arcanes de l’administration du rapport rédigé par le chevalier de Tromelin, ramenant les 8 survivants ?

L’archéologue Max Guérout estime que l’histoire étant extraordinaire, « la personne à qui le rapport a été adressé a dû s’empresser d’aller le montrer à son voisin et le document a fini par rester dans un bureau, sans qu’on pense à le récupérer pour l’archiver. » Ne nous faut-il pas une bonne dose d’angélisme pour aller croire une chose pareille avec des professionnels aussi pointilleux que des archivistes ! Dans ce cas, on peut légitimement se demander combien d’autres rapports ont subi un tel sort si définitif ?

Cas 2 – « On dit que Castellan promet à son équipage ainsi qu’aux soixante esclaves restés sur l’île de revenir les chercher »

J’analyse cette promesse et je ne comprends pas toutes ses motivations ? Car ces femmes et hommes abandonnés sont des esclaves clandestins. On reviendrait les chercher en tant qu’esclaves ? Ou en hommes libres ? On reviendrait les chercher pour des raisons humanitaires ? Ni Castellan, ni ses autres complices n’ont été ni accusés encore moins poursuivis pour détention illégale d’esclaves à leur retour à l’Île de France ! Disons que selon les contextes de l’époque, la chose était impossible. Puisqu’on apprend que la flûte l’Utile, un trois-mâts, gros bateau est, pour le compte de la Compagnie française pour le commerce des Indes orientales affrété par Jean-Joseph de Laborde qui était un banquier de Louis XV, première fortune de France. Ce négociant est un personnage double et vicieux comme les grands capitalistes savent l’être : parfois mécène des artistes et d’autres fois, négrier, pour renflouer ses caisses. L’Utile un navire aux formes trapues, optimisé pour le transport, peu coûteux à produire, est confié à Jean de La Fargue, 57 ans, parce qu’il est également un spécialiste de la traite. http://www.lepoint.fr/actualites-sciences-sante/2007-01-17/les-naufrages-de-tromelin/919/0/15068

En conclusion, malgré l’interdiction formelle du gouverneur, La Fargue embarque sciemment les esclaves sous l’ordre de son armateur. Parce qu’ils comptaient sur une forme d’immunité ou d’impunité… Il n’était donc pas dans l’intérêt des décisionnaires de cette embarcation d’aller rechercher les sujets de leur délit ! Malgré qu’on dise que Castellan, le commandant en second secoué par sa conscience a toujours plaidé la cause des oubliés. 

Cas 3 –

Dans le livre de Dominique LE BRUN intitulé « Les naufragés : Témoignages », on lit ceci suivant la traduction du texte de Dubuisson de Keraudic 1761 :

“Ils ne sont pas exprimables, les secours que nous avons tirés depuis le premier moment jusqu’au dernier de ces malheureux esclaves que nous avons été obligés d’y abandonner à la honte de tous. Excepté une vingtaine, tant de l’état-major que de l’équipage qui ont surpassé la force et le courage humain par leurs travaux et peines continuelles.

Ce qui prouve clairement que les 122 rescapés dont 121 ont rallié sains et saufs l’Ile de France – Ile Maurice, doivent leur vie aux travaux de forcenés réalisés par les abandonnés. Ce fut donc évidemment à la fois sous la contrainte -puisqu’ils ont toujours été désignés comme des esclaves et rien d’autres- et sous le mensonge éhonté consistant à leur faire croire qu’on reviendrait les chercher que les choses s’étaient faites.

  • Alors que le nombre d’esclaves est bien établi, on lit sous la plume de Jean-Yves Le Lan en date du jeudi 12 mars 2009, dans l’article Le Naufrage de l’Utile, une phrase qui tend à minimiser ce nombre « Mais Jean de La Fargue, capitaine de l’Utile, enfreint les ordres et embarque à Foulpointe des esclaves (nombre non connu mais aux environs de 100 probablement) ». Pourquoi ?
  • https://www.histoire-genealogie.com/Le-Naufrage-de-l-Utile
  • https://www.histoire-genealogie.com/_Jean-Yves-Le-Lan – Jean-Yves Le Lan, né à Lorient en 1949, ingénieur, retraité en 2001, il s’est penché sur la vie de ses ancêtres et en particulier à ceux ayant eu des activités maritimes, le service pour la marine royale et pour la Compagnie des Indes…

Cas 4 –

Un petit navire, la Sauterelle, leur avait donné l’espérance d’être enfin délivrés. Nous sommes en 1774. Mais il s’en éloigna précipitamment après y avoir débarqué un matelot. Cet homme, victime ou puni, bourreau ou condamné, humaniste ou bagnard était dans tous les cas, abandonné par le navire et ses camarades. Hasard ou plan prémédité ? Pourquoi cet abandon ? Est-ce seulement à ce moment-là que l’équipage de la Sauterelle se posait la question suivante : fallait-il persister ? Au fait, pourquoi secourir à présent des esclaves qui à la base étaient obtenus illégalement et condamnés à la mort par abandon ?

On dit que cet homme, dont je n’ai trouvé pour le moment le nom mentionné nulle part aurait pris ensuite le parti désespéré de se rendre à Madagascar sur un radeau en embarquant avec lui trois hommes et trois femmes. Comment furent-ils choisis ? Combien de survivants avait-il précisément trouvé sur place ? Comment les trois hommes pourraient-ils allègrement accepter ce départ sur un radeau de fortune ? Et vers où ? Etaient-ils contraints ou volontaires ? Esclavage encore ou liberté ?

Chose incroyable, Chose incroyable, il embarque les trois derniers hommes en abandonnant pour une dernière condamnation à mort rien que des femmes, 7 autres survivantes. Avant de partir un des hommes parmi les partants savait qu’il avait fécondé une des abandonnées (ce départ a certainement été vécu comme une grosse trahison de ces hommes surtout le futur papa) en juin ou juillet 1974. Celle-ci réussit à porter sa grossesse à terme. Dans ses bras un bébé de huit mois au dernier sauvetage. Que dire d’autres, sinon une sournoise décision de l’administration d’oublier et d’étouffer définitivement l’histoire de cet abandon ?

Cas 5 –

Le jour même de l’arrivée à Port-Louis, le 15 décembre 1776, Jacques Maillard du Mesle, Intendant de l’Île de France, accueille en personne dans sa maison la mère et son fils ainsi que la grand-mère, les seules à avoir une histoire à raconter. Ce trio vivra chez lui. Il les déclare libres et leur proposa de les ramener à Madagascar. Ce que les dames refusèrent, dit-on ! Maillard décide alors de baptiser l’enfant Jacques Moyse (Moïse). La grand-mère est renommée Dauphine du nom de la corvette qui a ramené les naufragés. Et la mère, au nom malgache de Semiavou qui signifie qui n’est pas orgueilleuse, devient Eve.

Max Guérout dit qu’une dame lui révèle aussi, une autre fois, que sa grand-mère (ou son grand-père) avait comme nom celui d’un bateau négrier « l’Utile ». Il n’en dit pas plus sur le tracé de cette transmission issue de l’oralité.

Pourquoi autant de générosité envers des négresses dont la mort n’a pas voulu ? Comment comprendre ce phénomène ? Rappelons que le Décret pour abolition de l’esclavage en France rédigé par Victor Schœlcher ne sera signé que le 27 avril 1848 soit, tenez-vous bien, 72 ans plus tard ! Quel remords dicte cette sollicitude débordante alors que l’esclavage est toujours en cours ? Si ne n’est le désir politique du gouverneur et de son administration de bâillonner ces femmes maudites d’être des survivantes ? 

(En 1790, Mirabeau comparera les navires négriers à des cercueils flottants, mais il faudra attendre 1848 pour que l’esclavage soit définitivement interdit dans les colonies.

1ère abolition : 4 fév. 1794, initié par l’Abbé Grégoire – Rétablissement par Napoléon le 20 mai 1802 – 2ème abolition : 27 avril 1848, initié par Victor Schoelcher)

Cas 6 –

Sous le titre « Moïse » par Camille Payet, publié le 29 mars 2010 sur le blog de Monique MERABET sous sa rubrique Les dix mots (7), http://patpantin.over-blog.com/article-les-dix-mots-6-47559213.html, l’auteur revendique une certaine parenté avec Soha, prénom malgache de la mère du garçon qui sera rebaptisé Moïse par Jacques Maillard du Mesle, Intendant de l’Île de France . Dans les textes recueillis, elle était dénommée Semiavou.

Donc Soha aura eu 20 ans en 1761. Elle a accouché en avril ou mai 1776 de Mahévo, ainsi nommé en souvenir de son père Mahavel. Mieux encore, le garçon aura un nom malgache Moïse Rakotoandroo, soit (Mahévo fils de Mahavel Rakotoandroo) pour une identité plus complète dit-il !

Cet élément qui ne peut être qu’issu de recoupements oraux altérés montre, s’il y a du vraisemblable, deux choses. 1- Qu’il y a une mémoire orale qui a traversé les époques sur le sort des esclaves malgaches naufragés et rescapés à l’Ile des sables. D’ailleurs, l’homme à qui il faut rendre un hommage particulier pour son travail et son opiniâtreté c’est Max Guérout. Il affirme lui-même qu’il n’a accordé de l’importance à la question des oubliés de l’Ile des Sables que sur l’insistance d’un météorologue travaillant sur l’Ile de Tromelin où trois personnes vivent. Les esprits de ces ancêtres ne se sont-ils pas manifestés à lui, d’une façon ou d’une autre ? A rechercher !

2- Que les esclaves, puisqu’ils viennent de la même île ou même du même site, se connaissaient probablement. Car un nom de famille comme Rakotoandroo – ne figurant plus dans l’annuaire – ne peut pas sortir du néant.

Il estime en être un « très lointain descendant ». Soha, son aïeule, esclave malgache, parmi les rescapés à l’Ile des Sables aura connu seulement à 33 ans, l’un des derniers braves parmi les rescapés, Mahavel. Etonnant ! Décrit comme beau « un apollon à la musculature impressionnante », on peut se demander pourquoi n’est-il pas parti avec la première vague de départ des 18 personnes qui ont embarqué sur un radeau de fortune de leur construction ? selon les témoignages des 7 femmes ?

Même si je considère ce texte beaucoup plus comme un voyage poétique dans l’histoire qu’un témoignage, deux choses me chiffonnent là-dessus.

Je me demande pourquoi l’auteur fait revenir Soha sur son île ? « Soha, son fils, ses compagnes, regagnent leur île natale, Madagascar. La mère et le fils retrouvent enfin leur village, leur famille. Tout a bien changé ». 

Selon les textes recueillis, elle refusait le voyage ! Ensuite, pourquoi on a le vrai nom de Moïse sans aucune autre piste sur les traces de son père ?

Trop de questions malheureusement resteront sans réponse sur cette affaire de l’île des Sables tout simplement parce que « si les lions avaient leurs propres historiens tous les glorieux faits de chasse ne seraient pas en faveur des chasseurs. »

Autres lectures utiles en complément d’information :

  1. Lecture instructive en complément : http://www.cosmovisions.com/esclavage.htm – Tout savoir sur l’esclavage
  2. https://journals.openedition.org/insitu/10182 – sur les oubliés de Tromelin
  3. https://journals.openedition.org/carnets/2188, Vers une post mémoire de la traite et de l’esclavage ? par Fabrice Schurmans
  4. Réflexions sur l’esclavage des nègres, texte de Nicolas de Condorcet publié en 1781 http://paulf.tk/files/school/1S/French/R%3Fflexions%20sur%20l’esclavage%20des%20n%3Fgres,%20Condorcet%20(1781).pdf – Dénonciation de la pratique de l’esclavage jugé comme un véritable crime. Il plaide pour une suppression progressive de l’esclavagisme en expliquant que si cela n’est pas possible demain, l’abolition est un objectif réalisable sans trop de difficulté économique. Son opposition à l’esclavage se fait au nom de droits naturels de l’humanité…

https://creoleways.com/2014/10/01/esclavage-et-reparations-doudou-diene-souhaite-lannulation-de-la-dette-de-lafrique/ Esclavage et réparations : Doudou Diène souhaite l’annulation de la dette de l’Afrique – entretien par Yacine S

L’Île des esclaves oubliés et trahis – condamnés à une mort lente

Tromelin, l’île des esclaves oubliés, exposition au musée de l’Homme, à Paris, du 13 février au 3 juin 2019.

Avec le lien au-dessus, vous pouvez enter dans le monde de l’exposition présentée au musée de l’homme sur cette étonnante voire ahurissante histoire des captifs malgaches en mer vers l’esclavage… que le destin va se charger de libérer pour donner des leçons à l’arrogance et au manque d’humilité de leurs ravisseurs. Cependant ces derniers n’en deviendront que plus féroces !

C’est l’histoire d’un naufrage au XVIIIème siècle. Une histoire terrible où les esclaves abandonnés ont passé quinze ans dans un dénuement total. Pas encore assez vulgarisée. Voici un recoupement des informations et autres travaux.

L’Utile est une belle Flûte neuve, construite à Bayonne, a quitté les côtes françaises le 1er mai 1760 avec un total de 142 hommes d’équipage. Direction l’Océan Indien. Son capitaine s’appelle Jean de Lafargue. Un homme de confiance mais un peu imbu de lui-même, un trafiquant et un gros menteur. Il est secondé par son premier lieutenant, Barthélemy Castellan du Vernet, plus dégourdi, vaillant et consciencieux. A bord des marins de Bayonne, de Bretagne du Béarn, du pays Basque et d’autres. Régions ainsi identifiées de nos jours !

Un an un mois plus tard, fin juin 1761, il aborde à Foulpointe sur la côte Est de Madagascar. Il en repartira après trois semaines plus tard, le 22 juillet avec une cargaison clandestine destinée à faire à l’époque la fortune des armateurs : 160 esclaves malgaches achetés 30 piastres chacun, achetés en fraude avec l’argent de la Compagnie françaises des Indes orientales à un capitaine portugais… (4800 piastres pour faire son marché – monnaie du Portugal et d’Espagne utilisée allègrement à l’époque). Il comptait revendre 70 piastres chacun quelques jours plus tard, à l’Ile de France – Île Maurice actuelle. Le double plus 10 piastres de dédommagement.

A bord d’autres produits notamment du café, du riz et de la viande de bœufs de Madagascar en salaison qui étaient la commande principale du voyage allait rapporter un total de 40.000 piastres. La moitié de la valeur du bateau serait ainsi remboursée en un seul voyage.

Mais la mer en décide autrement. Dans la nuit du 30 au 31 juillet le vaisseau vient s’empaler sur les récifs de l’île des Sables. Trop pressé, trop cupide, le capitaine de la Fargue n’a pas voulu écouter les conseils de prudence de ses seconds.

Dans cette nuit noire des tropiques, imaginez le choc, le craquement du bois comme un coup de tonnerre.

Hilarion Dubuisson de Keraudic, l’écrivain du bord originaire de Lorient, un méchant, violent et cupide écrivain était à bord. C’est lui, un des rescapés qui décrit la scène dans son journal : « Le vaisseau tombait sur le tribord à faire frémir… Sans mâts et sans gouvernail, en proie aux brisants et à la mer la plus terrible déferlant à plus de cinq pieds au-dessus du plus haut du vaisseau… Pendant ce temps les barreaux se cassaient sous nos pieds et enfin le pont est tombé… » (Il avait écrit un récit privé, lettre à sa famille où son racisme et son complexe de supériorité est pleinement assumé, puis un autre à publier, imprimé à Amsterdam et à Bordeaux et diffusé jusqu’à Paris pour émouvoir l’opinion publique).

Alors que le jour se lève, donc, en vue de cette fameuse île de Sable, ceux qui ne sont pas encore tombé à l’eau, comme Keraudic décide de s’y jeter pour regagner l’île. À peine a-t-il le temps d’attraper au passage une grande planche de sapin pour s’y appuyer. « Un Noir esclave se noyant voulut aussi s’en saisir, ajoute le scribe, mais deux coups de pied que je lui donnai finirent de lui ôter ses forces. (Assassinat ou droit légitime à l’élimination ?) J’entendis en ce même instant une voix qui me demandait du secours, je me renversai et vis un matelot tout sanglant qui nageait avec des forces bien abattues droit à moi. Je le devançai, il prit place sur un bout de ma planche et nous fîmes nos efforts pour gagner terre. » Dans cette débandade, le Blanc trouvera normal de ne manifester aucune forme d’humanité vis à vis des esclaves. Ce type de comportement a permis au capitaine Lafargue de ne déplorer la perte que de vingt hommes blancs (17 hommes d’équipage) durant cette affreuse nuit. 123 autres Blancs ont pu se réfugier sur la plage. Ereintés mais vivants.

La plupart des esclaves sont restés dans la cale où ils sont enfermés. Porte clouée par des planches.

Impuissants, ils ont vu l’eau monter en même temps que la panique, et puis en se brisant la coque les a libérés. Il en reste quatre-vingt-dix sur les 160. Les 70 autres sont morts noyés. On ne va pas me faire croire que pendant que l’utile est agité de toutes parts – et cela dure une bonne partie de la nuit – les geôliers ne se posent aucune question sur le sort de ces esclaves attachés dans les cales avec des portes clouées.

Décision claire : les laisser crever. C’est tout !

Mais le pire est encore à venir… L’île est hostile. C’est le sommet d’un ancien volcan hérissé de corail, est sur la route des cyclones. Il n’y a jamais eu d’habitants. Aucun bateau n’a jamais pu y accoster. Les naufragés vont tenter d’y survivre. Les rapports sont inégalitaires à la base. Donc…

Le manque d’eau se fait durement sentir et cause de nouveaux décès, chez les Noirs bien sûr, avec qui on ne partage pas les précieuses boissons sauvées.

On va collecter tout ce qui peut servir. Les esclaves travaillent de l’aube jusqu’à la tombée de la nuit aussi bien pour la collecte que pour la construction d’une embarcation pour quitter l’île. En dehors de toutes les autres taches faciles à deviner. C’est le premier lieutenant, Barthélemy Castellan du Vernet, qui a pris les choses en main puisque le capitaine, toujours considéré comme responsable du naufrage est parfaitement déconsidéré. D’ailleurs, il vit prostré. On avait dit qu’il avait perdu la raison, ce qui n’était pas vérifié !

Le 26 septembre, Keraudic écrit : « La mer belle. Le bateau fini et mouillé au large. Béni et nommé La Providence. Le lendemain, c’est le grand jour. « Lancé sont embarqués à bord 122 (cent vingt-deux personnes – rien que les Blancs), sous le regard des quatre-vingts esclaves noirs qui restent sur l’île, puisqu’il n’y a pas assez de place pour eux à bord ». Ils sont donc dans le dénuement total, abandonnés dans leur prison à ciel ouvert à une mort probable. Libre de l’esclavage mais pas libre de vivre d’espoir.

5 jours plus tard, dans la soirée du 1er octobre 1761, La Providence arrive rapidement à bon port au comptoir de traite de Foulpointe, sur la côte Est de Madagascar, là où les esclaves – fruits de razzias clandestines- avaient été achetés alors que la traite était provisoirement interdite. Le chef d’escadre Froger de l’Éguille recueille le témoignage du capitaine Lafargue, qui raconte l’aventure en détail. Il minimise toutefois le nombre d’esclaves abandonnés sur l’île, puisqu’il déclare qu’ils sont 60 au lieu de 82. Ce n’est pas là le discours de quelqu’un qui aurait perdu la tête !

Un autre bateau Silhouette, viendra chercher les rescapés blancs le 26 octobre pour leur transfert vers l’île de France (Île Maurice) dont le capitaine Lafargue, qu’on laisse crever le 12 novembre alors qu’on est en vue de l’île Bourbon (La Réunion).

Castellan du Vernet devient donc le seul héros de cette tragédie. Et pourtant c’est lui qui fait la vaine promesse de revenir chercher les esclaves. Faut dire qu’à l’île des Sables Castellan du Vernet sauve sa peau mais il a eu la douleur de voir son jeune frère se noyer sous ses yeux.

Le 25 novembre, le Silhouette arrive à Port-Louis. Le gouverneur de l’île de France, Desforges-Boucher, ne réserve pas aux naufragés le plus chaleureux des accueils. Castellan du Vernet se voie opposer un refus catégorique quand il demande au gouverneur un navire pour se porter au secours des esclaves abandonnés.

Le 1er janvier 1762, Castellan reprend du service sur le Comte de Provence.

Il continue de son côté à se tourmenter pour le sort des abandonnés.

En septembre 1772, dix ans après les faits, il écrit au secrétaire d’État à la Marine, de Boynes, pour lui demander d’envoyer un navire à leur recherche. Sans suite !

En août – septembre 1775, la Sauterelle, un autre bateau reçoit du gouverneur de Ternay l’ordre d’aller récupérer les naufragés.

Le 25 novembre 1776, la corvette La Dauphine appareille encore vers l’île, commandée par Jacques Marie Boudin de Lanuguy de Tromelin, Le soir du 28, il aperçoit dans sa longue-vue l’île de Sable. Le lendemain 29 nov, une pirogue de pêche est mise à l’eau et reliée au navire par un câble. L’officier Lepage, chargé des manœuvres y sauva sept femmes « négresses » et un enfant. Seul reste des trois cents naufragés (132 ou 142 marins + 160 esclaves + les 20 morts) qui depuis quinze ans vivaient là ! Les miraculées, semblant surgir d’un autre âge, sont vêtues de pagnes et de châles en plumes d’oiseaux marins. Accueillies et réconfortées à bord de La Dauphine, elles sont débarquées à l’île de France le 14 décembre 1776. C’est cette réussite de Jacques Marie Boudin de Lanuguy de Tromelin qui fera donner son nom à l’île.

Voici donc sans tous les détails le récit de ce qu’il en fut. Il me reste dans l’article suivant à soulever avec vous quelques petites zones d’interrogations. environ six !

Le 31 juillet 1761, un navire négrier nommé l’Utile se fracassa sur l’île de Sable, île d’un kilomètre carré, perdue en plein Océan Indien à 700 kilomètres au nord de la Réunion.

Trois semaines plus tard, le 27 sept 1961, les rescapés blancs au nombre de 122 s’enfuirent sur une embarcation de fortune en laissant derrière eux les esclaves malgaches au nombre de 82.

Quinze ans plus tard, le 29 nov 1976, 7 femmes et un enfant, furent enfin officiellement récupérés. Ils auraient survécu en se nourrissant de poissons, des oiseaux marins, des œufs, des tortues et des racines. Des fouilles archéologiques ont permis d’entrevoir comment ces femmes et ces hommes ont pu survivre avec une grande ingéniosité à partir de rien.

Aujourd’hui Tromelin reste française, l’un des lieux les plus isolés de la République, l’un des plus mal connus aussi. Avec une station météo automatisée. Mais pour affirmer sa souveraineté sur l’île, la France y maintient une présence. Trois personnes qui restent environ deux mois ce qui fait six relèves par an.

L’ONU a adopté deux résolutions, en 1979 et 1980, incitant la France à restituer ces îles à Madagascar… sans résultat pour l’instant à cause de deux richesses (allusion aux résolutions 34/91 et 35/123 de l’ONU adoptées le 12 décembre 1979, l’assemblée générale a adopté la résolution 34/91 par 93 voix contre 7, avec 36 abstentions) :

  1. Le potentiel économique de l’île se résume en 285 000 km² de zone exclusive de pêche bourrées de poissons (en rapport avec la France hexagonale + la Corse qui ne font que 345 000 km²). Il paraît que des navires chinois et japonais sévissent déjà dans la zone pour piller les fonds marins.
  2. Présence fortement soupçonnée de pétrole et de métaux rares dans le sous-sol là-bas et tout autour…

Sources des informations et écrits de Nathalie Couilloud, Max Guérout qui dirige le Groupe de Recherches en Archéologie Navale (GRAN), Institut National de Recherche en Archéologie Préventive (INRAP), TAAF – Terres australes et antarctiques françaises – Irène Frain, Sylvain Savoia, Laurent Hoarau, Thomas Romon et texte de l’écrivain du bord originaire de Lorient, Hilarion Dubuisson de Keraudic.

http://www.slate.fr/story/137603/tragedie-esclaves-oublies-tromelin

http://la5e5suitlajeannedarc.over-blog.com/article-30563944.html
https://actu.fr/bretagne/saint-malo_35288/gros-plan-sur-lile-tromelin-et-son-histoire_6612499.html
http://shenandoahdavis.canalblog.com/archives/2017/07/27/35502710.html
http://www.lepoint.fr/actualites-sciences-sante/2007-01-17/les-naufrages-de-tromelin/919/0/15068
http://www.france24.com/fr/20151017-exposition-chateau-nantes-esclaves-traite-negriere-oublies-ile-tromelin-madagascar
https://biblogotheque.wordpress.com/tag/memoire/
https://www.francetvinfo.fr/decouverte/l-histoire-houleuse-de-l-ile-tromelin-perdue-au-milieu-de-l-ocean-indien_2020776.html