LA PETITE SOURIS OU LES DESTINS CROISÉS

Une petite souris qui vivait en ville nous raconte son histoire.

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Cette petite souris, et personne ne sait vraiment ce qui lui est passé par la tête, avait décidé de traverser une route à double voie non loin de l’égout où elle avait localisé un garde-manger avec quelques membres de sa famille. En plein centre-ville.
C’était en fin de journée à l’heure où les gens sortent des bureaux. Nous sommes sur l’avenue des Chants de la Liberté, une artère très fréquentée. Cette destination est bien connue des touristes du monde entier et bien évidemment, nul ne peut prétendre avoir visité normalement la plus belle ville au monde sans un tour du côté de l’avenue des Chants de la Liberté. L’animation de ses trottoirs et la folie des achats compulsifs dans ses magasins sont sources de multiples anecdotes.
Le défi de la petite souris était à la fois incroyable et impossible !
Le rongeur influencé par toutes ces scènes qui sont des témoignages de vie heureuse était sorti de son refuge, son égout paternel et familial, pour à son tour visiter la ville. Avec bravoure et témérité ! La peur a failli le dissuader. Mais brave petite souris comme elle se considérait, elle n’ira tout de même pas dire aux siens qu’elle était sortie sans avoir parcouru l’avenue des Chants de la Liberté. Sans avoir rien vu de tout ce qui s’y passait de merveilleux. Non, elle n’osera pas le dire !
Alors légitimement, elle avait décidé comme une grande, de traverser cette avenue en commençant par la double voie de chaque côté de la route qu’on appelait piste cyclable, récemment installées par la Mairie.

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Ce jour-là, les gens étaient sortis de leur travail, comme à l’accoutumée, à l’heure où le soleil prenait habituellement des nouvelles de sa couchette pour savoir si ses domestiques avaient fini de lui préparer son lit !

Ce même soir, l’une de mes amies, avait décidé d’aller voir un film qu’elle guettait depuis un moment déjà. Or, les plus grandes salles de cinéma qu’elle avait l’habitude de fréquenter se trouvaient sur l’avenue des Chants de la Liberté. Elle avait donc déjà choisi sa salle. Elle y entrerait vers dix-neuf heures, y passerait environ deux heures puis à la sortie, irait manger dans l’un des restaurants exotiques qui égaillaient le quartier. Voilà ce qu’on lisait dans sa pensée exactement au moment où elle avait fait la queue comme tout le monde pour acheter son billet. Puis elle était entrée dans la salle située au sous-sol du complexe, son seau de pop-corn sous le bras. Un refuge pour se poser, se distraire, se détendre, bref passer du bon temps avec soi-même !

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À ce même moment, la petite souris sur le bord de la piste cyclable avait décidé de s’engager. De la piste cyclable à la hauteur de la première voie, il y avait en fait seulement un mètre vingt environ à parcourir. Mais pour la petite souris ce chemin était un véritable périple. Cependant la longueur d’un chemin n’a jamais découragé un rongeur. Surtout pas une souris sortie de son égout pour visiter la ville. À chacun son rythme.
Alors la petite souris résolue et aux aguets, a commencé sa traversée. Elle s’était lancée courageusement et le temps qu’elle arrive de l’autre côté, les spots publicitaires sur le grand écran tout blanc dans l’obscurité tamisée de la salle de cinéma du sous-sol, étaient déjà tous diffusés. Vingt longues minutes sont ainsi imposées aux cinéphiles pris en otages d’une façon subtile et consumériste.

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Mon amie, pour mieux déguster son évasion dans le monde du 7ème art, se cala confortablement dans son fauteuil et attendit avec impatience le début de son film. Elle l’avait, comme à son habitude, soigneusement choisi dans L’Officiel des spectacles, après avoir lu le résumé, la durée et la classification. Elle savait qu’il y aurait du rire et de l’émotion. Mais jusqu’à quel point, c’est en cela que réside le mystère de la petite attente qui sera bientôt assouvie !
La petite souris, seule dans ce monde grouillant d’humains, recroquevillée, tremblotante comme à son habitude sous le rebord de la piste cyclable qu’elle venait héroïquement de traverser, se reposait.
Devant elle, il n’y avait qu’étourdissement, vertige, échappées innombrables de roues, quatre, six voire huit roues portant d’énormes carapaces qui dépassent de très loin celles de la tortue mère qu’elle connaît très bien. Et elles allaient vite ces roues emmêlées de fumée pour imposer à ses yeux une oscillation permanente.

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Les voitures filaient dans tous les sens vers de multiples destinations. C’était une vraie course, une chevauchée contre la montre. Un si grand éblouissement de courses folles sans qu’elle sache exactement où toutes ces grosses bêtes aux couleurs variées allaient. Un grand repas devait être organisé quelque part sur la terre, vu comment elles étaient toutes si pressées !

La petite souris se concentra sur son objectif tout simple : traverser cette avenue à deux voies. Et sans fermer les yeux, elle s’engagea toujours rapide et résolue.
Alors courageusement, et personne ne savait si c’était vraiment le moment le plus indiqué pour cette traversée, elle a entamé la suite du chemin, patiemment, calmement.

100_0529 - CopieAu bout d’une longue heure en temps humain, la petite souris était parvenue avec plus de peur que de mal au milieu de la route.

Pendant ce temps, mon amie bien installée dans son fauteuil, le seau de pop-corn grignoté depuis longtemps, avait déjà vu la moitié de son film. On en était au point culminant. Le temps où tous les suspens arrivent au summum pour exciter la curiosité du public. Le moment où se pose la question du dénouement. Les policiers allaient-ils finir par attraper l’assassin de la jeune fille, déjà connu des spectateurs ? Mais que fait la maréchaussée à perdre son temps sur les mauvaises pistes au lieu d’aller droit au but ? Pourquoi manquent-ils tant de flair alors que l’assassin-violeur s’apprête à commettre un autre délit ?

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À ce moment-là, mon amie était gagnée par une terrible impatience. Elle aurait aimé rentrer dans l’écran afin de tenir par la main l’inspecteur qui menait l’enquête et le conduire là où il fallait qu’il soit. Elle vivait les émotions à fleur de peau. Une sensibilité qui faisait monter son taux d’adrénaline. Là, elle devenait double, triple, quadruple même, épousant l’enveloppe de certains des personnages à l’écran. Son cœur battait au rythme effréné de la bobine et elle n’était pas prête de ralentir tant qu’elle ne verra pas sur l’écran «The end». Et dans son esprit, il fallait que ce soit un « happy end » !

Dehors, la petite souris était également dans son rythme et elle n’était pas prête d’abandonner tant qu’elle n’aurait pas atteint son objectif. Son petit cœur battait la chamade. Mais depuis un moment, elle se disait que le repos qu’elle prenait au milieu des deux voies avait été suffisant et qu’il fallait continuer, viser l’autre bord. Alors, calmement, patiemment et plus bravement encore, elle s’était élancée.

Juste au moment où le film se terminait avec une victoire des forces du bien sur la cavalerie du mal. Soulagement pour mon amie ! Ouf ! La petite souris était de l’autre côté de la route !

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Mon amie était impressionnée par la façon dont le génial réalisateur avait terminé le scénario. Tout était rentré dans l’ordre. Le méchant était tombé au détour d’une petite erreur et il avait été violemment appréhendé. Il le méritait bien ! Applaudissement général ! C’est comme si aucun spectateur n’avait pitié de lui et des maltraitances qu’il avaient subies. Pas de respect des droits de l’homme dans ces conditions sélectives. Pour le moral de mon amie c’était important que Dieu gagne sur le diable ! Sinon, elle aurait été mise mal à l’aise dans ses convictions religieuses, elle qui ne passait jamais devant une église sans entrer allumer un cierge. Ah, le dîner au restaurant sera agréable ! Vite, manteau, écharpe et sac pour sortir de là en soupirant de bonheur.

De l’autre côté de l’avenue, le rongeur impénitent était également très heureuse d’avoir relevé son défi. Oui, elle avait traversé une double voie de l’avenue des Chants de la Liberté sans se faire écraser. Victoire sur la peur, le risque et le lâche renoncement. Elle pouvait respirer et être fière d’elle. Pour cela, elle esquissa quelques pas de danse que personne ne remarqua. IMG_2914 - CopieMon amie venait de sortir de la salle de cinéma dans une paisible bousculade générale. Elle n’avait désormais plus qu’une idée derrière la tête : aller digérer toutes ces belles images ingurgitées devant un bon repas tout chaud. Manger étant un voyage, dans quelle contrée son palais ira-t-il se compromettre ? Vietnamien ? Chinois ? Thaïlandais ou Japonais ? Ses premiers choix sont toujours asiatiques. Et selon des critères liés à la fréquentation des restaurants qu’elle ira scruter, à l’emplacement où elle souhaiterait avoir une table, elle pourrait se rabattre sur l’italien ou le libanais. Puisque le choix s’offre largement ! En tous cas, le film lui avait ouvert l’envie d’un bon dîner.

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IMG_1766Elle prendrait pour commencer un apéro doux, pour s’ouvrir  l’appétit. Ensuite, elle commanderait un bon menu qui serait -comme toujours caché sur les dernières pages- une «formule tout compris»! Pourquoi pas un menu végétarien où il serait proposé un verre de vin bio pour accompagner l’assiette de légumes ? Tous les efforts qu’elle faisait depuis de longues années pour se maintenir en forme l’aidaient à bien se sentir et aussi à se projeter dans une tranquille traversée de la vie. À espérer vivre très longtemps, vieille, solide et encore séduisante.
Maintenant, elle était dans la rue. Alors qu’elle respirait un bon coup d’air frais, un bruit assourdissant la fit sortir de sa torpeur momentanée. Elle n’eut même pas le temps de réaliser ce qui se passait : une voiture qui avait brûlé le feu rouge et la priorité piétons avait renversé un passant et pour en éviter un second, elle s’était projetée à pleine vitesse dans un poteau électrique bien en évidence comme la centaine de poteaux électriques qui permettent d’illuminer automatiquement la ville dès que le soleil prenait sa retraite vespérale. Le bruit en surprit plus d’un et provoqua une petite panique.  Sous ce poteau violemment cogné, juste au bord de cette route si bien éclairée, la petite souris que personne ne voyait, se reposait encore, guettant ce monde étrange qui faisait vaciller ses yeux. Mais ce n’était pas un remue-ménage comme celui-là qui aurait fait déguerpir une souris aussi curieuse qu’elle !

IMG_2901 - CopieLe poteau électrique se renversa et dans sa grande chute, entre autres dégâts, tomba sur mon amie et lui fracassa, sans autres formes de procès, le bassin et les deux jambes.
Quel malheur ! Quel grand malheur ! Appelez les secours, appelez les pompiers ! Au secours !
C’est dans une confusion générale que le SAMU* arriva sur place. Mon amie fut délicatement relevée, puis évacuée ! Les autres blessés ne nous intéressent pas !
La petite souris avait, quant à elle, trouvé l’occasion de se glisser dans un petit trou, de ce côté-ci de cette terrible même avenue à deux voies très fréquentée du centre-ville. L’avenue des Chants de la Liberté ! Qui reste libre d’aller et venir sans le GPS du destin ?
Depuis, nul ne l’a plus jamais revue. D’ailleurs, peu de gens sont au courant de son exploit.

Après plusieurs jours passés à l’hôpital dans un coma artificiel où les chirurgiens l’avaient placée afin de pouvoir intervenir sur son cas plus que délicat, mon amie mourut. Sans un mot, un geste, un signe. Sans testament !

IMG_1727Selon les Anciens, il paraît que c’est ce qu’on appelle le sort ou le destin.
Je n’en sais rien moi ! Une connaissance commune, après avoir pleuré toutes les larmes de son corps à l’annonce de la mauvaise nouvelle, s’écria entre deux sanglots : « On dit que le crayon de Dieu n’a pas de gomme ! Je commence à y croire ! » Personne n’a su rire à cette réflexion.
Mais comme j’avais vu, moi le conteur, ces deux événements se dérouler sous mes yeux…, je ne pouvais pas m’empêcher de vous les rapporter. Tels quels !

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Voilà ! Maintenant vous savez comment se présente le destin sur les chemins de vie et les voies humaines. Le sage, l’homme et le conteur, trois en un parfois, ont une grande envie de vous inviter à profiter à chaque instant des bons moments que la vie vous offre à vivre. Avec des mots, des gestes, des signes.

Un testament qui peut être de l’ordre des grands silences. Ou avoir juste l’envergure d’un petit sourire !

RKF

  • SAMU : Service d’Aide Médicale Urgente