“There were two big birds
Sitting on the tree
One named Black bird
One named White bird
Fly away Black bird
Fly away White bird
Come back Black bird
Come back White bird
And enter into the big tree!”
Deux oiseaux immigrés qui volaient au-dessus des nuages, après avoir observé le monde de très haut, décidèrent de se poser sur le plus majestueux des arbres qu’ils aperçurent. C’était un baobab séculaire qui veille depuis toujours sur des gris-gris accrochés à ses branches et des fétiches attachés à son tronc. Personne ne voit tous les talismans enterrés sous ses racines et dans le creux de ses souches. Par contre dans l’intersection, on devait dire l’articulation de certaines de ses branches, creusée par le temps, les années et leurs rides comme autant de calebasses, se cache un secret connu seulement des initiés : ces récipients naturels étaient remplis d’une eau magique qui guérit les plaies têtues et les maladies jugées longtemps incurables. Comment les recueillir ? Là aussi, « seul un vieillard initié entend le criquet éjaculer ! » Les deux oiseaux ayant quitté leur groupe en migration ont pris inconsciemment cette décision car ils savent reconnaître un escargot enceinte d’un escargot ceinturé par une bedaine.
Lorsqu’ils se posèrent, ils découvrirent que de l’intérieur de ce baobab, sur l’axe central relié à la lune, on pouvait entendre d’une part le rythme cardiaque asymétrique de l’arbre et de l’autre, le bruit fugace d’un village souterrain. Ils attendirent en se laissant bercer par ces sonorités feutrées. Puis une fois sonnés les douze coups de minuit, ils y pénétrèrent. Là, ils remarquèrent grâce à leurs lentilles fluo que le ventre millénaire couvert de peintures rupestres était peuplé d’êtres extraordinaires, aux âges très variés, les uns aussi insolites et bizarres que les autres.
Aussitôt, un chant monta du village souterrain et enveloppa les oiseaux pèlerins d’un voile sonore aussi épais qu’une fumée d’énormes caoutchoucs brulés. Ils furent à la fois saisis d’effroi et remplis de frissons.
Brusquement, leurs yeux devinrent magnifiquement perçants et ils commencèrent à observer, explorer et décrire fascinés, toute cette peuplade d’en bas.
L’Oiseau blanc dit à l’Oiseau noir : « tiens, là, au milieu de la cour, vois-tu le même bigleux de vieillard que moi ? »
En effet, il y avait là un vieillard que tous les mammifères carnivores appelaient « Globe unique ». Le vieillard en question n’avait en effet qu’un seul œil, vitreux, positionné au beau milieu de son front. On aurait dit un extraterrestre, tellement l’agencement de ses organes vitaux était différent et amusant : un nez sous la bouche, bouche elle-même dépouillée de lèvres mais trouée d’orifices qui se soulevaient et se rabaissaient comme pour marquer une respiration saccadée. Elle exhibait des dents multicolores très visibles sur les côtés comme chez les phacochères, tantôt lumineuses, tantôt luminescentes ou en surbrillance. Globe unique n’avait ni cils ni sourcils. Son visage écaillé était allongé vers le bas et également tiré vers le haut ce qui lui donnait –sauf pour la pointe- l’aspect d’une crête de caméléon tournant la tête. Son secret et celui de sa trempe de chef : un deuxième œil flottant qu’il pouvait positionner partout. Le reste de son corps était caché par une grande tunique maintenue au niveau du cou par une fermeture éclair très épaisse. On pouvait à l’aspect de cette tunique deviner d’autres difformités sur son corps, des épaules aux pieds.
Riait-il ? Pleurait-il ? Nul ne saurait le dire ! Toujours est-il qu’à tout calculer, il n’avait vraiment pas l’air de quelqu’un qui souhaitait la visite d’étrangers de sa gente ailée.
Un peu plus loin, assis sur un tabouret à sept pieds, on voyait un autre être encore plus bizarre que « Globe » avec son œil unique vitreux.
— Hé, regarde sur ta droite, dit Oiseau noir à Oiseau blanc, très loin sur ta droite. Vois-tu ce que je vois ?
Oui, Oiseau blanc voyait ce sur quoi Oiseau noir avait attiré son intention. Une sorte de bélier qui avait la tête à la place des fesses et vice versa. Il avançait calmement à reculons. On ne pouvait pas dire si c’était devant ou derrière car ces mouvements désaccordaient le vent. Son sexe, planté sur son front, avait la forme d’un fouet de cheval, long et ferme, touffu et joufflu, tenu en équilibre par dix boules ovales comme des ballons de rugby positionnés pour un coup franc. Sur certaines parties de ses sabots non fendus, le bélier portait des plumes à la place des poils. Mais ses gros sabots rouges énormes étaient dotés de ressorts puissants qui le faisaient à volonté rebondir, à tort et à travers plus qu’il ne marchait ni ne volait.
Les deux oiseaux observèrent ainsi avec fascination d’autres êtres captivants occupés à diverses tâches : le bœuf unijambiste qui jouait au golf avec sa jambe, le crapaud cordonnier drapé dans un joli tablier jaune ou le coq moustachu qui dans son salon de coiffure tressait sur le crâne du malingre varan à la langue fourchue des cheveux rastas très épais. Pendant que le lézard jouait à tue-tête pour des escargots un tam-tam fait de trous d’air et de rameaux tressés.
Ces derniers, en guise de danse, exécutaient des sauts répétitifs comme s’ils faisaient du trampoline et revenaient tomber sur leur crâne. Alors leurs yeux et leurs tympans jaillissaient de leurs orbites. Ils se donnaient un malin plaisir à les ramasser et à les remettre à leur place en riant aux éclats. Dans le même périmètre commercial on pouvait distinguer, entre autres bêtes, le ver de terre poilu qui chantait du rock’n’roll en servant du café blanc et des jus de fruits bleus et noirs aux clients de sa brasserie. Parmi ceux-là figure, malgré sa longue barbe pleine d’eau une dorade royale, adossée à son sceptre avec une longue pipe accrochée au coin des lèvres. Elle donnait des ordres désespérés à une vache qui poussait des cocoricos, réclamait le silence à un chat qui beuglait à tue-tête ou prescrivait l’éloignement à une mère pintade qui nourrissait au sein son bébé mal nettoyé…
Un poisson ailé qui avait la forme sublime des « mami water », déesses des eaux profondes, corps de dauphin-tête de femme, se mit à balayer avec une langue en lanières fines toute la poussière et les ordures qui reposaient dans le fond de son tout petit aquarium. Elle jetait à grandes brassées, au-dessus des nuages, toutes les saletés ramassées. Ainsi les ordures, au contact des nuages aspirateurs, étaient emportées loin de sa demeure. Et après cette corvée, le poisson ailé se coiffa les cheveux blonds, remit ses lentilles dorées et se refit une beauté devant son miroir-loupe avec un gros rouge à lèvres très transparent.
Un coq à trois pattes traversa à grande vitesse la place du village portant, attaché dans son dos, un poussin à deux cornes qui pleurait. Il était poursuivi par une poule barbue qui tenait dans la main gauche un rouleau de pâtisserie qu’elle voulait asséner sur le dos du fuyard en criant : « rends-moi notre fiancée ! »
Un autre chat taillé comme un chien de chasse, tenait en laisse un magnifique papillon qui utilisait ses ailes comme des éventails pour chasser les mouches blanches qui se nourrissaient des pustules dégoulinantes de leur maître bossu au niveau du cou, des coudes et de l’arrière train. Le papillon en laisse s’amusait beaucoup à ce jeu-là en se roulant un joint de pétales verts !
« Qu’est-ce qu’ils sont à la fois beaux et bizarres tous ces êtres d’en bas ! » s’exclamèrent de façon synchronisée nos deux oiseaux migrateurs.
Le chant signalant leur présence monta plus fort encore dans le ciel sonorisé :
“There were two big birds
Sitting on the tree
One named Black bird
One named White bird
Fly away Black bird
Fly away White bird
Come back Black bird
Come back White bird
And sit again on the wall!”
Soudain une inquiétude imprévue se saisit d’eux, fermement.
Juste à cet instant-là un vent terrible se mit brusquement à souffler. Il les souleva violemment et les précipita au cœur d’un puissant tourbillon de cendres et de feux.
Après avoir subi dix, vingt, cinquante, cent tours en l’air, les oiseaux épuisés et étourdis se laissèrent tomber. Abattus et désemparés, l’univers autour d’eux était différent et leur mémoire rentraient désormais en lutte contre l’oubli.
Plus aucune trace de l’emplacement du grand et beau baobab qui leur avait offert non seulement l’hospitalité mais encore le magnifique film du monde d’en dessous, des êtres et de leurs vies si extraordinaires.
Il ne leur restait alors que le souvenir de certains spectacles mémorisés comme autant de rêves qu’ils ont ensuite raconté à leurs fils, complétant l’un pour l’autre leurs descriptions parcellaires. Leurs enfants à leur tour, l’ont raconté à d’autres enfants oiseaux qui l’ont répété en vol, jusqu’à ce que cela parvienne à nos oreilles.
Dans les migrations, certains s’écartent encore des énormes, immenses et indéterminables convois. Ils ne reviennent jamais raconter leurs aventures. Ou mésaventures ! Aussi, les récits ne s’enrichissent plus !
Maintenant, vous savez vous aussi que ce monde parallèle existe. Cherchez-le à votre tour. Allez voir ailleurs, cherchez le baobab et tous les arbres millénaires qui cachent si bien leur jeu et leurs secrets et revenez-nous, chargés de récits nouveaux. Peut-être que vous aurez plus de chance que les autres de vous souvenir de tous les détails !
“There were two big birds
Sitting on the tree
One named Black bird
One named White bird
Fly away Black bird
Fly away White bird
Come back Black bird
Come back White bird
And sit again on the wall
And show us another world”